Mes travaux
Acide Citron Pressé
L'acide pique l'oeil rougi d'un lagomorphe,
Tes crocs dans son cou d'érudit, va, consume, mords
Sa chair et ses idées, que l’agora se morphe,
Et sens dans tes veines l'essence du corps.
L’âme matérielle jouit des mains empathiques,
L'amas terrien frissonne sous la peinture plastique.
Tobias M. Visse
LA MORT DE MOLIERE
1673. Jean Baptiste Poquelin de Molière s’éteint. Charles Varlet de La Grange le veille. Un acteur venu d’un autre siècle les observe. Rien ne finit. Tout recommence.
Cette pièce (commencée en avril 2025) suit l'agonie de Molière sur son lit de mort, alors qu'il enchaîne les tirades de rétrospectives sur sa vie, coupé par La Grange — le membre le plus loyal de sa troupe — et L'acteur mort dans les années 1990, qui essaye désespérément de lui faire comprendre son impact sur le futur tout en le guidant vers sa mort inévitable.
Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière. Molière, nous le connaissons tous. Le Jésus du théâtre, notre mythologie... Le voilà qui agonise, tel l'homme mortel qu'il fut en réalité. Mais, au contraire de ce que l'on sait de son décès (mort seul dans sa chambre — et oui, madame L'Hôpital, si vous passez par là, j'ai bien retenu votre cours sur cet homme et sa mort, et je sais qu'il n'est pas mort au théâtre — en attendant ses sacrements), il crève entouré de l'homme qui ne l'abandonnera jamais, et de celui qui participera à sa légende.
Charles Varlet, dit La Grange. Lui vous est peut-être inconnu. La Grange est l'un des acteurs de la troupe du Roy (roi, donc...), et (contrairement à la plupart des autres) est le seul qui ne l'ait jamais quittée (et ce de son arrivée jusqu'à sa mort). Il a démontré son intérêt pour l'Œuvre de Molière et sa loyauté en écrivant avec assiduité un registre (le registre de La Grange) où il mit toutes les informations jugées utiles sur la troupe du Roy (et la Comédie-Française par la suite), soit les comptes. C'est lui qui joua Dom Juan quand Molière était Sganarelle, Philinthe quand il était Alceste...
L'acteur mort dans les années 1990. Mort des suites d'une longue maladie, L'acteur est un fantôme venu tout droit du futur afin de montrer à Molière la preuve de sa postérité. L'acteur a joué du Molière, L'acteur est mort dans la douleur comme lui, et L'acteur est là pour le guider (allez, si vous avez lu mes articles, vous savez qui est cet acteur...).
Lettre ouverte à Francis Huster
Monsieur Huster,
Je me permets de vous adresser cette lettre ouverte dans le cadre de mes recherches sur l’acteur Richard Fontana.
Étudiant les Arts du spectacle, passionné par l’histoire du théâtre et de ses figures parfois oubliées, je me suis récemment intéressé à cet homme trop peu documenté. Peu d’archives, peu de traces, mais un parcours qui mérite d’être mieux connu.
C’est dans cette optique que je me tourne vers vous, espérant que vous accepterez de partager certaines informations sur cet acteur que vous avez sans doute croisé (photographie à l'appui).
Votre regard et votre souvenir seraient précieux pour éclairer cette figure méconnue.
En vous remerciant par avance pour l’attention que vous voudrez bien porter à ma demande, je vous adresse mes salutations respectueuses.
Tobias Visse
Puisqu'on m'appela Navré
J’ai passé la soirée avec vous. À écouter de la musique.
Nous avons mangé le gâteau de mon anniversaire.
Vous m’avez offert des cadeaux, qui m’ont plu.
Nous avons parlé longtemps.
Je suis resté jusqu’à vingt-deux heures.
À vingt-deux heures, j’ai dit “je vais manquer le dernier tram”.
À vingt-deux heures, je vous ai pris dans mes bras et j’ai remis mon manteau.
Je suis sorti de l’appartement.
J’ai marché jusqu’à l’arrêt de tramway.
J’ai attendu mon tramway.
Je me suis adossé à la vitre de l’arrêt et j’ai pleuré. Peut-être dix minutes, ou moins.
Mon tramway est arrivé. J’ai séché mes larmes et je suis entré.
Les portes du tramway se sont fermées derrière moi.
Le tramway m’a amené à dix minutes de mon appartement.
Je suis descendu du tramway.
J’ai sorti mes clés de ma poche.
J’ai entamé les dix minutes de marche jusqu’à mon appartement.
J’ai croisé un petit chat.
Je me suis agenouillé devant lui.
Je lui ai caressé la tête.
Je me suis relevé.
J’ai marché les cinq minutes de route restantes.
Je suis arrivé devant mon immeuble.
Je suis entré.
J’ai monté les marches jusqu’au premier étage.
Je suis arrivé devant l’appartement.
J’ai déverrouillé ma porte.
Je suis entré.
J’ai fermé derrière moi.
J’ai enlevé mes chaussures.
J’ai enlevé mon manteau.
J’ai posé les clés sur la table.
Je suis allé aux toilettes. (J’ai entendu dire que, lorsqu’on mourait, on se chiait et on se pissait dessus.) J’ai chié et j’ai pissé.
J’ai tiré la chasse.
Je me suis lavé les mains.
Je me suis brossé les dents. Pour aucune raison.
Je suis sorti des toilettes.
Je suis entré dans ma chambre.
J’ai pris une cigarette dans la poche de mon pantalon.
Je me suis mis entièrement nu.
J’ai ouvert ma fenêtre.
J’ai inspiré.
J’ai allumé la cigarette.
Je l’ai fumée à ma fenêtre.
Je l’ai jetée par la fenêtre.
J’ai expiré.
J’ai fermé ma fenêtre.
J’ai ouvert le tiroir de mon bureau.
Du tiroir, j’ai sorti mon revolver de service.
Et deux balles.
La deuxième, au cas où.
J’ai ouvert le barillet.
J’y ai mis les deux balles.
J’ai tiré en arrière le chien du revolver.
J’ai hésité.
J’ai senti la sueur couler le long de ma nuque.
J’ai frissonné.
J’ai appuyé le canon contre la région sous-mentonnière.
J’ai hésité.
J’ai décalé le canon.
Non. Je ne dois pas penser à vous, sinon c'est foutu.
J’ai inspiré.
J’ai repositionné le canon.
J’ai expiré.
J’ai compté dans ma tête.
1… 2… 3…
J’ai appuyé légèrement sur la détente. Pas assez pour faire partir le coup. Mais assez pour m’assurer que je n’allais pas renoncer.
J’ai compté dans ma tête.
3… 2… 1…
J’ai inspiré.
J’ai appuyé sur la détente.
Le bruit assourdissant du coup de feu m’a percé les tympans.
J’ai senti la balle déchirer la chair du menton.
J’ai senti la balle briser la mandibule.
J’ai senti la balle traverser la langue et casser les dents. L'impact a arraché la langue, mais, ça, je ne l’ai pas senti.
J’ai senti la balle briser l'os maxillaire.
J'ai senti la balle traverser les sinus, frôlant les orbites.
J'ai senti la balle exploser le cerveau.
J'ai senti la balle briser le sommet du crâne et déchirer la peau.
J'ai senti les poumons se vider d'air alors que j’expirais un dernier souffle.
Voilà comment, moi, Navré, suis mort.
Tobias M. Visse
LE PRINCE DU THÉÂTRE : Présentation de Richard Fontana
Richard Fontana est un comédien français né le premier juin 1951, à Saint-Pardoux-Isaac en Lot-et-Garonne, fils d’Antoine Fontana et d’Yvonne Zancanaro. Il suit très tôt un parcours théâtral rigoureux : arrivé à Paris, il fréquente les cours d’Alik Roussel vers le début des années 1970, et fait du café-théâtre avant d’entrer au Conservatoire national supérieur d’art dramatique (d'abord dans la classe de Louis Seigner, puis d'Antoine Vitez).
Il débute ainsi sur les scènes du Théâtre des Quartiers d’Ivry (Phèdre de Racine, Catherine d’après Aragon) et du Jeune Théâtre National (Arlequin dans La Double Inconstance de Marivaux, L’Éveil du printemps de Wedekind), et joue en 1974 dans Hernani de Victor Hugo, par Hossein, où il incarne Don Matias (son premier rôle officiel).
Sa formation comprend aussi des rôles marquants hors Comédie-Française : sous la direction d’Antoine Vitez, il participe en 1978-1979 à la tétralogie moliéresque (L’École des femmes, Dom Juan, Tartuffe, Le Misanthrope) aux festivals d’Avignon et d’Automne. Il remporte son premier grand succès d’interprétation en 1980-81 au Petit Odéon en jouant la pièce-monologue La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, une performance qui lui vaut le Prix Gérard-Philipe de la Ville de Paris en 1981.
Carrière à la Comédie-Française
Engagé à la Comédie-Française, il y entre en décembre 1979 et en devient le le 472ᵉ sociétaire en 1983. Il y fait ses débuts dans Tartuffe de Molière (en tant que Valère) et joue ensuite différents rôles dans le répertoire classique, comme le Prince dans La Double Inconstance de Marivaux et Coelio dans Les Caprices de Marianne de Musset. Durant ses dernières années à la Comédie-Française, il atteint des rôles-titres : Polyeucte (Corneille), Néron (Racine), Sganarelle (Le Médecin malgré lui de Molière) ou encore Figaro (Le Mariage de Figaro de Beaumarchais).
De gauche à droite : Jean-Luc Boutté, Claude Matthieu, Jacques Toja, Richard Fontana et Francis Huster en 1979, alors que Fontana signe son contrat de pensionnaire.
Il participe aussi à des créations et reprises contemporaines : Hamlet de Shakespeare dans la mise en scène d’Antoine Vitez au Théâtre national de Chaillot (1983) – une version intégrale (5 heures) qui "fait événement" et révèle son talent tragique (Fontana est alors "un prince de Danemark fougueux, déchiré, sarcastique, suicidaire, irrésistible"). Il collabore avec les plus grands metteurs en scène français : Jorge Lavelli (La Vie est un songe d’après Calderón, où il crée le rôle de Sigismond, ainsi qu’Œdipe dans Greek de Berkoff), Klaus Michael Grüber (Bérénice de Racine où il joue Titus), Luca Ronconi (Le Marchand de Venise comme Shylock), Georges Lavaudant (Lorenzaccio comme Alexandre de Médicis), Antoine Vitez (Le Mariage de Figaro comme Figaro), Jacques Lassalle (La Fausse Suivante comme Lelio), etc. Son répertoire allie ainsi classicisme et drames modernes, où il se montre tout aussi à l’aise en comédie qu’en tragédie.
Cinéma et télévision
Bien qu'essentiellement présent au théâtre, Richard Fontana a aussi joué au cinéma et à la télévision. On le voit notamment dans le film Divine (1975, de Dominique Delouche), où il interprète Olivier. À la télévision, il apparaît de 1972 à 1982 dans plusieurs séries et téléfilms français : Les Boussardel (1972), 1788 (1978), La Peau de chagrin (1980, d’après Balzac), Noires sont les galaxies (1981) ou La Sorcière (1982), entre autres.
Richard Fontana en Horace Bianchon, dans La Peau de chagrin, 1980.
Style de jeu et réputation
Fontana s’est rapidement distingué par un jeu physique, énergique et intense. Selon un critique du Monde, "Richard Fontana était un acrobate, un sportif, un acteur physique, à la fois extériorisé et intense, inattendu". Cette exubérance vient du fait qu’il infuse ses rôles d’une grande vitalité : en 1984 Grüber exploite ainsi son timbre pour faire évoluer la voix de son Titus de Bérénice (d’abord "ténor sonore", puis "blanche, sans corps"). Un autre journal souligne qu’il excelle également dans les registres plus subtils : dans Le Songe d’une nuit d’été, il joue Puck avec légèreté et agilité, tandis que dans Polyeucte de Corneille il impose une présence "noble" et tourmentée. En somme, sa réputation auprès des pairs est celle d’un comédien complet, capable de passer du comique au tragique avec brio.
Richard Fontana a reçu le Prix Gérard-Philipe de la Ville de Paris en 1981 (Grand Prix de la Ville) pour saluer sa performance scénique précoce. La même année, le directeur général de la Comédie-Française propose sa nomination au statut de sociétaire, effective en 1983. Ces honneurs attestent de son impact rapide sur la vie théâtrale. Son apport se mesure aussi aux rôles qu’il a créés ou popularisés : par exemple, il fut l’un des premiers acteurs français à porter à la scène contemporaine La Nuit juste avant les forêts de Koltès (voix unique, 1980), ainsi qu’à introduire Greek de Steven Berkoff (Œdipe loubard) sur une scène parisienne. Après son décès, la Comédie-Française a même interrompu la représentation du Bal masqué de Lermontov par respect, attestant de l’estime dont il jouissait. Il reste dans les mémoires comme une vedette de la "Maison de Molière", qui a enrichi le théâtre français de ses incarnations passionnées.
Richard Fontana décède prématurément la nuit du 25 au 26 juin 1992 à l’hôpital Rothschild, dans le douzième arrondissement de Paris, "après une longue maladie" (probablement des suites du SIDA). Il était âgé de 41 ans. Son décès soudain provoque l’émotion du monde du théâtre, qui le surnommait "le prince du théâtre", avant de l'oublier (par le grand public en tout cas), lui qui l’avait pourtant tant acclamé. Aucun détail familial particulier n’est rapporté dans la presse : sa vie semble entièrement dédiée à la scène.
Sources :