Journal théâtral de Tobias M. Visse

Journal théâtral de Tobias M. Visse

Acide Citron Pressé

L'acide pique l'oeil rougi d'un lagomorphe,
Tes crocs dans son cou d'érudit, va, consume, mords
Sa chair et ses idées, que l’agora se morphe,
Et sens dans tes veines l'essence du corps.
L’âme matérielle jouit des mains empathiques,
L'amas terrien frissonne sous la peinture plastique.

 

 

Tobias M. Visse


05/08/2025
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LE CAHIER NOIR d'Olivier Py : la confession de l'adolescent provincial

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crédit : Marc Domage


Dans le Cahier Noir, un jeune Olivier Py (à demi ?) fictionnel de seize à dix-sept ans, se livre sur ses fantasmes sexuels et masochistes, ainsi que sur son questionnement religieux, le tout à travers la quête d'une écriture sans filtre et honnête. Il se rêve poète suprême, et puisque tout tourne autour du masochisme, c'est par là qu'il trouvera la foi d'écrire, ou la foi au sens premier, tout simplement. 

Selon Olivier Py, ce roman (qu'il considère comme fiction) est sûrement l'une de ses œuvres les plus personnelles, par son ancienneté, dans un premier temps, mais aussi par les sujets traités (le fond) et la manière d'écrire (la forme), celle d'un adolescent persuadé que ce qu'il écrit est une réelle œuvre, motivé par une sorte d'orgueil que l'on connait à une grande partie des jeunes poètes passionnés.

 

À travers cette œuvre, Olivier Py parle de sa quête religieuse et sexuelle au travers de sa quête littéraire, mettant en perspective les liens intimes entre foi, écriture et désir.

 

Le Cahier noir : un journal de formation entre littérature, désir et foiimage_2025-07-04_123901394

L'aspect du journal de formation (semblable aux œuvres du "coming out of age" en certains points) se retrouve dans le style d'écriture de l'auteur précoce et enfiévré. Il s'agit d'une écriture adolescente, marquée d'influences lyriques (Rimbaud dans la dimension provocatrice, Claudel dans la dimension spirituelle, entre autres). Comme beaucoup d'adolescents et jeunes adultes de cet âge (et je n'y fais certainement pas exception) les idoles influencent les mots d'une manière beaucoup plus évidente, avant de s'assagir inévitablement au fil de l'expérience accumulée. Ici, c'est donc un auteur dans le feu de la jeunesse qui écrit, se cherchant à travers le langage, la violence verbale pour parler de la violence du tumulte interne.

Le texte sert aussi de confession, une confession qui ne semblait pas avoir pour but d'être entendue (Py n'ayant pas souhaité le publier à l'époque). C'est une exploration personnelle des désirs, une tentative de compréhension interne. Ainsi, ces désirs, les fantasmes masochistes ("Mon génie c'est me branler en appuyant la pointe de mon compas sur mes tétons roses, mon génie c'est que seule la vue de mon sang m'apaise, mon génie c'est que je veux humilier la littérature jusqu'à ce que s'ouvre un ciel rien que pour moi.") deviennent matière littéraire. On retrouve ici une continuité de Genet, dans son Œuvre érotico-poétique (cf : Le Condamné à mort).

 

Une quête spirituelle portée par l'érotisme et la douleurimage_2025-07-04_123759662

Dans ce texte, la foi et la sexualité se rejoignent en une dialectique mystique, où l'on retrouve la volonté de dégradation extrême dans la quête de l'absolu... N'être rien pour pouvoir être tout (cf. mes réflexions sur Olivier Py : le passage du RIEN au TOUT... ça arrive, je vous tease). Le narrateur veut être esclave, dégradé, que l'on dégrade ses écrits ("Si j'écrivais un poème vraiment bien je crois que je le déchirerais sur le passage du prof de sport, je me branlerais en le regardant piétiner mon poème, je lui enverrais mon sperme séché avec une carte de remerciement ourlée d'or." : ici, l'idée d'être détruit artistiquement excite autant que l'idée de la douleur physique). Le masochisme devient un rituel de transcendance, où la soumission transforme le narrateur en quasi-martyr.

De l'autre côté de la plume, on trouve Lucas. Lucas est le double parfaitement contraire du jeune Olivier, puisqu'il a la foi simple, naïf et droit. Lui ne doute pas de Dieu, il ne doute pas du Christ, et est perturbé lorsqu'on lui montre les traces masochistes qui excitent tant le protagoniste ("J'ai montré à Lucas la merveilleuse échelle de Jacob que j'ai faite sur mon avant-bras avec une lame de taille-crayon."). Lucas incarne la piété la plus pure et simple possible, sage, et guide la quête spirituelle par leurs échanges chrétiens.

 

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Là où Lucas n'a à priori pas besoin de faire passer sa foi par autre chose que son âme, le narrateur doit la faire passer par l'écriture. L'écriture mystique, qui érotise le monde (sa ville, sa douleur...), ses mots deviennent sacrés...

 

Le théâtre comme réinvention de la quête initialeimage_2025-07-04_130839484

En choisissant d'adapter ce texte au théâtre, trente-cinq ans après écriture, Olivier Py effectue un retour adulte (plus sage et mûr) sur son écriture adolescente, en faisant une œuvre collective. Il donne la voix de la quête du narrateur (qui est aussi, sur certains points, son propre périple) à quelqu'un d'autre (Émilien Diard-Detœuf), se livrant à une certaine impudeur.

De plus, le théâtre offre un moyen de travailler le texte plus visuellement, l'œuvre étant déjà assez visuelle à l'origine avec la présence de dessins et l'écriture manuscrite. Le dispositif scénique y participe grandement, servant de reflet à l'univers mental décrit. On trouve une vision plutôt triviale, presque sacrée dans sa simplicité : trois acteurs, une toile peinte, des lieux de province transfigurés... Il en faut peu pour parler d'une quête aussi complexe, tout comme le support premier (simple cahier noir, avec simple encre noire).

 

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En somme, Le Cahier Noir se donne à lire comme une œuvre de tensions, où les extrêmes s'embrassent dans un même souffle lyrique. À travers l’écriture d’un adolescent, Olivier Py met en scène une esthétique de la contradiction : la crudité sexuelle devient chemin vers la transcendance, la trivialité provinciale se teinte de sacré, la provocation ouvre une brèche spirituelle. Ce journal d’initiation, où la chair et l’esprit se disputent chaque mot, révèle une littérature à vif, une langue de l'excès comme moyen d’accéder à une forme de pureté mystique. En réinvestissant ce texte au théâtre des années plus tard, Py ne cherche pas à lisser les aspérités de cette écriture adolescente, mais à les sublimer, à en faire la matière d’une liturgie poétique. Ainsi, l’impudeur devient prière, et la blessure, lieu d’apparition du divin. C’est dans cette dialectique — entre abjection et élévation — que réside la force singulière de Cahier Noir, où l’écriture est à la fois cri de désir, acte de foi et tentative de salut.


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Dédicace d'Émilien Diard-Detœuf, qui jouait le narrateur / Olivier Py dans l'adaptation en spectacle du Cahier noir.

 

Sources : Sceneweb, 104#ParisLe Cahier noir d'Olivier Py, Olivier Py | Le Cahier noir - Actes Sud Papiers, Olivier Py, amours de jeunesse - Entrée libre

Les dessins sont issus du livre, aux éditions Actes Sud.


04/07/2025
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LA MORT DE MOLIERE

1673. Jean Baptiste Poquelin de Molière s’éteint. Charles Varlet de La Grange le veille. Un acteur venu d’un autre siècle les observe. Rien ne finit. Tout recommence.

 

Cette pièce (commencée en avril 2025) suit l'agonie de Molière sur son lit de mort, alors qu'il enchaîne les tirades de rétrospectives sur sa vie, coupé par La Grange — le membre le plus loyal de sa troupe — et L'acteur mort dans les années 1990, qui essaye désespérément de lui faire comprendre son impact sur le futur tout en le guidant vers sa mort inévitable.

 

Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière. Molière, nous le connaissons tous. Le Jésus du théâtre, notre mythologie... Le voilà qui agonise, tel l'homme mortel qu'il fut en réalité. Mais, au contraire de ce que l'on sait de son décès (mort seul dans sa chambre — et oui, madame L'Hôpital, si vous passez par là, j'ai bien retenu votre cours sur cet homme et sa mort, et je sais qu'il n'est pas mort au théâtre — en attendant ses sacrements), il crève entouré de l'homme qui ne l'abandonnera jamais, et de celui qui participera à sa légende.

Charles Varlet, dit La Grange. Lui vous est peut-être inconnu. La Grange est l'un des acteurs de la troupe du Roy (roi, donc...), et (contrairement à la plupart des autres) est le seul qui ne l'ait jamais quittée (et ce de son arrivée jusqu'à sa mort). Il a démontré son intérêt pour l'Œuvre de Molière et sa loyauté en écrivant avec assiduité un registre (le registre de La Grange) où il mit toutes les informations jugées utiles sur la troupe du Roy (et la Comédie-Française par la suite), soit les comptes. C'est lui qui joua Dom Juan quand Molière était Sganarelle, Philinthe quand il était Alceste...

L'acteur mort dans les années 1990. Mort des suites d'une longue maladie, L'acteur est un fantôme venu tout droit du futur afin de montrer à Molière la preuve de sa postérité. L'acteur a joué du Molière, L'acteur est mort dans la douleur comme lui, et L'acteur est là pour le guider (allez, si vous avez lu mes articles, vous savez qui est cet acteur...).


19/06/2025
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Lettre ouverte à Francis Huster

Monsieur Huster,

Je me permets de vous adresser cette lettre ouverte dans le cadre de mes recherches sur l’acteur Richard Fontana.
Étudiant les Arts du spectacle, passionné par l’histoire du théâtre et de ses figures parfois oubliées, je me suis récemment intéressé à cet homme trop peu documenté. Peu d’archives, peu de traces, mais un parcours qui mérite d’être mieux connu.
C’est dans cette optique que je me tourne vers vous, espérant que vous accepterez de partager certaines informations sur cet acteur que vous avez sans doute croisé (photographie à l'appui).
Votre regard et votre souvenir seraient précieux pour éclairer cette figure méconnue.
En vous remerciant par avance pour l’attention que vous voudrez bien porter à ma demande, je vous adresse mes salutations respectueuses.

 

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Tobias Visse


11/06/2025
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Puisqu'on m'appela Navré

J’ai passé la soirée avec vous. À écouter de la musique.

Nous avons mangé le gâteau de mon anniversaire. 

Vous m’avez offert des cadeaux, qui m’ont plu.

Nous avons parlé longtemps.

Je suis resté jusqu’à vingt-deux heures.

À vingt-deux heures, j’ai dit “je vais manquer le dernier tram”.

À vingt-deux heures, je vous ai pris dans mes bras et j’ai remis mon manteau.

Je suis sorti de l’appartement.

J’ai marché jusqu’à l’arrêt de tramway.

J’ai attendu mon tramway.

Je me suis adossé à la vitre de l’arrêt et j’ai pleuré. Peut-être dix minutes, ou moins.

Mon tramway est arrivé. J’ai séché mes larmes et je suis entré.

Les portes du tramway se sont fermées derrière moi.
Le tramway m’a amené à dix minutes de mon appartement.
Je suis descendu du tramway.

J’ai sorti mes clés de ma poche.

J’ai entamé les dix minutes de marche jusqu’à mon appartement.

J’ai croisé un petit chat.

Je me suis agenouillé devant lui.

Je lui ai caressé la tête.

Je me suis relevé.

J’ai marché les cinq minutes de route restantes.

Je suis arrivé devant mon immeuble.

Je suis entré.

J’ai monté les marches jusqu’au premier étage.

Je suis arrivé devant l’appartement.

J’ai déverrouillé ma porte.

Je suis entré.

J’ai fermé derrière moi.

J’ai enlevé mes chaussures.

J’ai enlevé mon manteau.

J’ai posé les clés sur la table.

Je suis allé aux toilettes. (J’ai entendu dire que, lorsqu’on mourait, on se chiait et on se pissait dessus.) J’ai chié et j’ai pissé.

J’ai tiré la chasse.

Je me suis lavé les mains.

Je me suis brossé les dents. Pour aucune raison.

Je suis sorti des toilettes.

Je suis entré dans ma chambre.

J’ai pris une cigarette dans la poche de mon pantalon.

Je me suis mis entièrement nu.

J’ai ouvert ma fenêtre.
J’ai inspiré. 

J’ai allumé la cigarette.

Je l’ai fumée à ma fenêtre.

Je l’ai jetée par la fenêtre.

J’ai expiré.

J’ai fermé ma fenêtre.
J’ai ouvert le tiroir de mon bureau.
Du tiroir, j’ai sorti mon revolver de service.

Et deux balles.
La deuxième, au cas où.

J’ai ouvert le barillet.

J’y ai mis les deux balles.

J’ai tiré en arrière le chien du revolver.

J’ai hésité.

J’ai senti la sueur couler le long de ma nuque.

J’ai frissonné.

J’ai appuyé le canon contre la région sous-mentonnière. 

J’ai hésité.

J’ai décalé le canon.

Non. Je ne dois pas penser à vous, sinon c'est foutu.

J’ai inspiré.

J’ai repositionné le canon.
J’ai expiré.

J’ai compté dans ma tête.
1… 2… 3…

J’ai appuyé légèrement sur la détente. Pas assez pour faire partir le coup. Mais assez pour m’assurer que je n’allais pas renoncer.

J’ai compté dans ma tête.

3… 2… 1…

J’ai inspiré.

J’ai appuyé sur la détente.

Le bruit assourdissant du coup de feu m’a percé les tympans.

J’ai senti la balle déchirer la chair du menton.

J’ai senti la balle briser la mandibule.

J’ai senti la balle traverser la langue et casser les dents. L'impact a arraché la langue, mais, ça, je ne l’ai pas senti.

J’ai senti la balle briser l'os maxillaire.

J'ai senti la balle traverser les sinus, frôlant les orbites.

J'ai senti la balle exploser le cerveau.

J'ai senti la balle briser le sommet du crâne et déchirer la peau.

J'ai senti les poumons se vider d'air alors que j’expirais un dernier souffle. 

 

Voilà comment, moi, Navré, suis mort.

 

 

Tobias M. Visse


02/06/2025
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