LE CAHIER NOIR d'Olivier Py : la confession de l'adolescent provincial
crédit : Marc Domage
Dans le Cahier Noir, un jeune Olivier Py (à demi ?) fictionnel de seize à dix-sept ans, se livre sur ses fantasmes sexuels et masochistes, ainsi que sur son questionnement religieux, le tout à travers la quête d'une écriture sans filtre et honnête. Il se rêve poète suprême, et puisque tout tourne autour du masochisme, c'est par là qu'il trouvera la foi d'écrire, ou la foi au sens premier, tout simplement.
Selon Olivier Py, ce roman (qu'il considère comme fiction) est sûrement l'une de ses œuvres les plus personnelles, par son ancienneté, dans un premier temps, mais aussi par les sujets traités (le fond) et la manière d'écrire (la forme), celle d'un adolescent persuadé que ce qu'il écrit est une réelle œuvre, motivé par une sorte d'orgueil que l'on connait à une grande partie des jeunes poètes passionnés.
À travers cette œuvre, Olivier Py parle de sa quête religieuse et sexuelle au travers de sa quête littéraire, mettant en perspective les liens intimes entre foi, écriture et désir.
Le Cahier noir : un journal de formation entre littérature, désir et foi
L'aspect du journal de formation (semblable aux œuvres du "coming out of age" en certains points) se retrouve dans le style d'écriture de l'auteur précoce et enfiévré. Il s'agit d'une écriture adolescente, marquée d'influences lyriques (Rimbaud dans la dimension provocatrice, Claudel dans la dimension spirituelle, entre autres). Comme beaucoup d'adolescents et jeunes adultes de cet âge (et je n'y fais certainement pas exception) les idoles influencent les mots d'une manière beaucoup plus évidente, avant de s'assagir inévitablement au fil de l'expérience accumulée. Ici, c'est donc un auteur dans le feu de la jeunesse qui écrit, se cherchant à travers le langage, la violence verbale pour parler de la violence du tumulte interne.
Le texte sert aussi de confession, une confession qui ne semblait pas avoir pour but d'être entendue (Py n'ayant pas souhaité le publier à l'époque). C'est une exploration personnelle des désirs, une tentative de compréhension interne. Ainsi, ces désirs, les fantasmes masochistes ("Mon génie c'est me branler en appuyant la pointe de mon compas sur mes tétons roses, mon génie c'est que seule la vue de mon sang m'apaise, mon génie c'est que je veux humilier la littérature jusqu'à ce que s'ouvre un ciel rien que pour moi.") deviennent matière littéraire. On retrouve ici une continuité de Genet, dans son Œuvre érotico-poétique (cf : Le Condamné à mort).
Une quête spirituelle portée par l'érotisme et la douleur
Dans ce texte, la foi et la sexualité se rejoignent en une dialectique mystique, où l'on retrouve la volonté de dégradation extrême dans la quête de l'absolu... N'être rien pour pouvoir être tout (cf. mes réflexions sur Olivier Py : le passage du RIEN au TOUT... ça arrive, je vous tease). Le narrateur veut être esclave, dégradé, que l'on dégrade ses écrits ("Si j'écrivais un poème vraiment bien je crois que je le déchirerais sur le passage du prof de sport, je me branlerais en le regardant piétiner mon poème, je lui enverrais mon sperme séché avec une carte de remerciement ourlée d'or." : ici, l'idée d'être détruit artistiquement excite autant que l'idée de la douleur physique). Le masochisme devient un rituel de transcendance, où la soumission transforme le narrateur en quasi-martyr.
De l'autre côté de la plume, on trouve Lucas. Lucas est le double parfaitement contraire du jeune Olivier, puisqu'il a la foi simple, naïf et droit. Lui ne doute pas de Dieu, il ne doute pas du Christ, et est perturbé lorsqu'on lui montre les traces masochistes qui excitent tant le protagoniste ("J'ai montré à Lucas la merveilleuse échelle de Jacob que j'ai faite sur mon avant-bras avec une lame de taille-crayon."). Lucas incarne la piété la plus pure et simple possible, sage, et guide la quête spirituelle par leurs échanges chrétiens.
Là où Lucas n'a à priori pas besoin de faire passer sa foi par autre chose que son âme, le narrateur doit la faire passer par l'écriture. L'écriture mystique, qui érotise le monde (sa ville, sa douleur...), ses mots deviennent sacrés...
Le théâtre comme réinvention de la quête initiale
En choisissant d'adapter ce texte au théâtre, trente-cinq ans après écriture, Olivier Py effectue un retour adulte (plus sage et mûr) sur son écriture adolescente, en faisant une œuvre collective. Il donne la voix de la quête du narrateur (qui est aussi, sur certains points, son propre périple) à quelqu'un d'autre (Émilien Diard-Detœuf), se livrant à une certaine impudeur.
De plus, le théâtre offre un moyen de travailler le texte plus visuellement, l'œuvre étant déjà assez visuelle à l'origine avec la présence de dessins et l'écriture manuscrite. Le dispositif scénique y participe grandement, servant de reflet à l'univers mental décrit. On trouve une vision plutôt triviale, presque sacrée dans sa simplicité : trois acteurs, une toile peinte, des lieux de province transfigurés... Il en faut peu pour parler d'une quête aussi complexe, tout comme le support premier (simple cahier noir, avec simple encre noire).
En somme, Le Cahier Noir se donne à lire comme une œuvre de tensions, où les extrêmes s'embrassent dans un même souffle lyrique. À travers l’écriture d’un adolescent, Olivier Py met en scène une esthétique de la contradiction : la crudité sexuelle devient chemin vers la transcendance, la trivialité provinciale se teinte de sacré, la provocation ouvre une brèche spirituelle. Ce journal d’initiation, où la chair et l’esprit se disputent chaque mot, révèle une littérature à vif, une langue de l'excès comme moyen d’accéder à une forme de pureté mystique. En réinvestissant ce texte au théâtre des années plus tard, Py ne cherche pas à lisser les aspérités de cette écriture adolescente, mais à les sublimer, à en faire la matière d’une liturgie poétique. Ainsi, l’impudeur devient prière, et la blessure, lieu d’apparition du divin. C’est dans cette dialectique — entre abjection et élévation — que réside la force singulière de Cahier Noir, où l’écriture est à la fois cri de désir, acte de foi et tentative de salut.
Dédicace d'Émilien Diard-Detœuf, qui jouait le narrateur / Olivier Py dans l'adaptation en spectacle du Cahier noir.
Sources : Sceneweb, 104#Paris, Le Cahier noir d'Olivier Py, Olivier Py | Le Cahier noir - Actes Sud Papiers, Olivier Py, amours de jeunesse - Entrée libre
Les dessins sont issus du livre, aux éditions Actes Sud.
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