Journal théâtral de Tobias M. Visse

Journal théâtral de Tobias M. Visse

Puisqu'on m'appela Navré

J’ai passé la soirée avec vous. À écouter de la musique.

Nous avons mangé le gâteau de mon anniversaire. 

Vous m’avez offert des cadeaux, qui m’ont plu.

Nous avons parlé longtemps.

Je suis resté jusqu’à vingt-deux heures.

À vingt-deux heures, j’ai dit “je vais manquer le dernier tram”.

À vingt-deux heures, je vous ai pris dans mes bras et j’ai remis mon manteau.

Je suis sorti de l’appartement.

J’ai marché jusqu’à l’arrêt de tramway.

J’ai attendu mon tramway.

Je me suis adossé à la vitre de l’arrêt et j’ai pleuré. Peut-être dix minutes, ou moins.

Mon tramway est arrivé. J’ai séché mes larmes et je suis entré.

Les portes du tramway se sont fermées derrière moi.
Le tramway m’a amené à dix minutes de mon appartement.
Je suis descendu du tramway.

J’ai sorti mes clés de ma poche.

J’ai entamé les dix minutes de marche jusqu’à mon appartement.

J’ai croisé un petit chat.

Je me suis agenouillé devant lui.

Je lui ai caressé la tête.

Je me suis relevé.

J’ai marché les cinq minutes de route restantes.

Je suis arrivé devant mon immeuble.

Je suis entré.

J’ai monté les marches jusqu’au premier étage.

Je suis arrivé devant l’appartement.

J’ai déverrouillé ma porte.

Je suis entré.

J’ai fermé derrière moi.

J’ai enlevé mes chaussures.

J’ai enlevé mon manteau.

J’ai posé les clés sur la table.

Je suis allé aux toilettes. (J’ai entendu dire que, lorsqu’on mourait, on se chiait et on se pissait dessus.) J’ai chié et j’ai pissé.

J’ai tiré la chasse.

Je me suis lavé les mains.

Je me suis brossé les dents. Pour aucune raison.

Je suis sorti des toilettes.

Je suis entré dans ma chambre.

J’ai pris une cigarette dans la poche de mon pantalon.

Je me suis mis entièrement nu.

J’ai ouvert ma fenêtre.
J’ai inspiré. 

J’ai allumé la cigarette.

Je l’ai fumée à ma fenêtre.

Je l’ai jetée par la fenêtre.

J’ai expiré.

J’ai fermé ma fenêtre.
J’ai ouvert le tiroir de mon bureau.
Du tiroir, j’ai sorti mon revolver de service.

Et deux balles.
La deuxième, au cas où.

J’ai ouvert le barillet.

J’y ai mis les deux balles.

J’ai tiré en arrière le chien du revolver.

J’ai hésité.

J’ai senti la sueur couler le long de ma nuque.

J’ai frissonné.

J’ai appuyé le canon contre la région sous-mentonnière. 

J’ai hésité.

J’ai décalé le canon.

Non. Je ne dois pas penser à vous, sinon c'est foutu.

J’ai inspiré.

J’ai repositionné le canon.
J’ai expiré.

J’ai compté dans ma tête.
1… 2… 3…

J’ai appuyé légèrement sur la détente. Pas assez pour faire partir le coup. Mais assez pour m’assurer que je n’allais pas renoncer.

J’ai compté dans ma tête.

3… 2… 1…

J’ai inspiré.

J’ai appuyé sur la détente.

Le bruit assourdissant du coup de feu m’a percé les tympans.

J’ai senti la balle déchirer la chair du menton.

J’ai senti la balle briser la mandibule.

J’ai senti la balle traverser la langue et casser les dents. L'impact a arraché la langue, mais, ça, je ne l’ai pas senti.

J’ai senti la balle briser l'os maxillaire.

J'ai senti la balle traverser les sinus, frôlant les orbites.

J'ai senti la balle exploser le cerveau.

J'ai senti la balle briser le sommet du crâne et déchirer la peau.

J'ai senti les poumons se vider d'air alors que j’expirais un dernier souffle. 

 

Voilà comment, moi, Navré, suis mort.

 

 

Tobias M. Visse



02/06/2025
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